La faim du début

JeanSol
Ce petit pincement au cœur, je le ressens souvent lorsque se termine pour moi l’aventure qu’aura été la création d’un album de bout en bout.
Pourquoi faire des chansons ?
Je pense que ça vient à beaucoup d’entre nous (je parle des auteurs et musiciens amateurs). Mais pourquoi m’astreindre à cet exercice finalement assez futile au vu du nombre d’auditeurs que j’arrive à attirer dans mes filets de voix ?
Un album comme celui que vous venez peut-être d’écouter et de lire, c’est d’abord une écriture de textes (le plus souvent) et des accords qui viennent au cours des flâneries guitaristiques. La rencontre avec la mélodie se fait ensuite, lorsque déjà la musique et la parole ont une forme bien avancée. La plupart du temps, la chanson est bien construite avant que je n’envisage le début de la prise de son.
Ensuite, il faut lui imaginer une ambiance. Sera-t-elle rapide ou lente ? Instrumentée ou épurée ? piano ? Guitare ou Guitares ? Sève ou Chris au chant (une décision qui doit se prendre tôt car nous chantons à une différence d’environ 2 tons et demi) ? Courte ou longue (là c’est souvent la seconde option…). Il m’est arrivé d’avoir presque fini une version pour tout recommencer à zéro avec une approche radicalement différente.
Souvent, il y a une ligne de batterie très simple en boucle. La guitare est posée pour caler les éléments du texte, imaginer les séquences, les refrains (quand il y en a) et commencer à envisager une structure d’ensemble. La basse est enregistrée puis la voix. A partir de ce brouillon très basique, les idées peuvent commencer à venir : Choix des guitares, folk, électrique (telecaster ou aria), classique. Piano, synthé. Recherche des sons. Dès que tout cela commence à prendre forme, il y a une seconde prise de son pour la guitare, la basse et la voix. La batterie est alors construite pour créer un véritable arrangement. A partir de cette chanson qui commence à ressembler à sa version finale, il y a de nombreux essais d’effets, de son pour les instruments, les voix. C’est à ce moment que la chanson commence à avoir sa couleur. Il faut de toute façon renoncer à la perfection. Comme en beaucoup de chose, sa quête est désespérante. Il y a donc un moment où la décision de ne pas pousser plus loin doit être prise.
C’est là qu’une version définitive de la guitare rythmique, de la basse et de la voix est enregistrée.
Une fois ces dernières prises de sons réalisées, il faut écouter et écouter jusqu’à ce que les oreilles demandent grâce. Ça s’appelle le mixage et le mastering.
En général, il y a une dizaine de chansons faites dans ces conditions. Le mixage final peut être fait à la fin de chaque titre mais je préfère finaliser les arrangements d’un album dans un temps plus ramassé pour obtenir plus de cohérence. Quand je suis dans cette phase dans laquelle je dois imaginer l’ordre idéal des chansons, la pochette, les commentaires sur les chansons, le livret de l’album, je m’offre une petite récréation en commençant à créer les chansons de l’album suivant. Je fais donc ça en concomitance.
Ce dernier travail est long et il exige du temps et de la patience car je ne reviendrai plus sur ce que j’aurai fait. Il faut écouter les chansons dans un maximum d’environnement pour détecter les anomalies : ampli de qualité, voiture, lecteur MP3, enceinte d’ordinateur portable. Tout ça pour m’assurer (et me rassurer) en imaginant que vous entendrez ce que je voulais vous faire entendre.

Mais je ne réponds pas ainsi à ma question de début, voire j’amplifie l’interrogation. Pourquoi tout ça pour si peu ? Outre l’aspect purement narcissique qui est indéniable, je ne vois pas d’autre façon de faire de la musique. Je ne suis décidément pas un artiste de scène. Cette manière que j’ai de jalonner mon aventure intime de séquence à coup d’albums, c’est une façon comme une autre de garder une trace de cette existence de musicien de l’ombre. De plus, je sais qu’il y a des personnes qui aiment ce que je fais. Aussi peu soient-elles, ça justifie amplement tout ce déploiement de moyen. N’y aurait-il plus que Sève pour m’écouter, ça me suffirait absolument.

Voici donc fini cet épisode de “Ere de Je”, mais si vous avez lu attentivement cet article (vous pouvez le relire si ça n’est pas le cas), vous devez penser que j’ai déjà commencé quelque chose. Et vous vous trompez car j’ai en fait quasiment fini quelque chose. Je suis à la dernière étape de “Le soliloque”. Les chansons faites. Il ne me reste plus que quelques retouches et la pochette à créer.

Donc, si ce journal vous a plu, je vous propose de reprendre cet exercice très prochainement.

Merci à tous pour vos encouragements, vos remarques voire vos silences que j’ai pris avec toute la bienveillance possible.
Merci à Daphné et Caroline, mes deux abonnées chéries
Merci à Bertrand pour ses commentaires oraux (j’attends toujours la version écrite)
Merci à Sandrine et Christophe qui partagent presque toujours mes articles
Merci à Raphaël pour sa petite voix dans “Lire”
Merci à Sève surtout

Une réflexion sur « La faim du début »

  1. Cher Christophe,

    Merci pour ce billet qui nous éclaire sur ton travail d’écriture et de composition. Certes, si tu ne réponds pas complétement à la difficile question “Pourquoi je le fais?” (côté introspection, je trouve que tu ne t’en sors néanmoins pas trop mal), après lecture de ce texte, j’en sais un peu plus sur le “Comment tu le fais” , les différentes étapes que nécessite la réalisation d’un album et je peux mesurer toute l’implication que cela requiert de ta personne, même si de longue date je sais que la musique n’est pas pour toi qu’un simple passe-temps du dimanche. Alors continue d’écrire, d’expérimenter des sons, de fredonner des mélodies, tu as la chance d’avoir trouvé ton média pour dire le monde. Et pour moi, ce sera toujours un plaisir d’écouter ta version des choses en musique.

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