Je n’ai pas encore réussi à me résigner à reprendre mes rubriques hebdomadaires. ça me paraît prématuré, indécent, voire irrationnel. Mais me taire, ça me semble tout aussi incongru.
Quand les assassins de Paris ont commis leur barbarie, qu’on-t-il cherché à faire au fond ? Nous effrayer ? Nous prouver leur détermination ? Je crois surtout qu’ils cherchent à nous démontrer que nous ne sommes rien, négligeables, sans importance.
Pourtant, une petite lecture rapide de quelques ouvrages de philosophie leur aurait appris qu’ils s’y prennent plutôt mal. En effet, quand ils cherchent à nous anéantir, ils obtiennent l’effet inverse. Quand je nie l’autre, j’affirme son importance à mon insu car on ne peut pas nier ce qui n’est pas. On peut même dire qu’en niant l’autre, je le ré-engendre. Et c’est très exactement ce qu’ils ont réussi à faire. La France s’est régénérée sur ces cendres. Elle n’avait que très rarement été aussi présente dans l’esprit des hommes, aussi importante pour ce qu’elle représente. Les assassins reviendront sûrement car leur ignorance les met à l’abri de cette évidence. Mais nous pouvons être sûr que leurs futurs méfaits ne feront que faire grandir encore la présence de ce qu’ils veulent nier.
Il ne me reste que ce slogan que je brocarde désormais : “JE SUIS” et c’est bien suffisant pour leur répondre quand ils voudraient que nous ne soyons pas. Et peu importe ce que nous sommes, c’est “être”‘ l’essentiel, bien plus qu'”avoir”.
En conclusion, je vous propose ma minute de silence :
L’élaboration d’une chanson comme “Le journal d’un corps” part toujours d’une composition simple. Le plus dur est souvent de s’affranchir de la version de départ, la version d’écriture de la mélodie.
Je compose quasiment toutes mes chansons à la guitare acoustique. Comme c’est l’instrument que je maîtrise le moins mal, l’inspiration y est la plus spontanée. Les idées arrivent presque par les doigts sans passer par un état conscient (me semble-t-il). C’est avant tout l’envie et l’émotion qui vont m’amener à construire une suite d’accord pour finir par créer un titre avec intro/couplet/refrain/pont/couplet/refrain/couplet/fin (dans une forme classique de la chanson). Ensuite, vient le calage du texte sur la mélodie. Ou plus précisément l’écriture d’une mélodie grâce à un texte. C’est même souvent la structure et le rythme d’un texte qui vont orienter la mélodie.
En définitive, lorsque la chanson change d’instrument et que l’arrangement prend forme, je m’éloigne de la forme originale de la chanson. J’aurais pu rester dans un registre plus basique et conserver la forme initiale de la chanson avec une construction guitare/voix comme je le faisais le plus souvent pour mes premiers enregistrements mais je prends beaucoup de plaisir à réinventer la musique dans une autre configuration.
Pour “Le journal d’un corps”, c’est un arpège piano électrique bouclé sur les premières mesures. Je voulais une introduction dépouillée. La batterie, la basse et surtout les cors viennent ensuite donner de l’ampleur. Le piano reste toujours présent. Il reste la colonne vertébrale de la chanson.
Du coup, j’ai envie de vous faire découvrir la version originale de la chanson, celle que je joue parfois en live quand on me demande de jouer mes morceaux à la guitare.
Voici donc “Le journal d’un corps” version bonus Guitare folk/chant, c’est tout :
“Mercredi 18 novembre 1936 Je veux écrire le journal de mon corps parce que tout le monde parle d’autre chose. (13 ans, 1 mois, 8 jours)”.
Daniel Pennac a écrit ce livre en 2012. Je pense avoir lu la plupart de ses livres. J’aime sa prose. Elle est d’une clarté et d’une simplicité impeccable tout en s’offrant le luxe d’être d’une grande richesse (je sais que ça paraît contradictoire mais essayez de le lire).
“Le journal d’un corps” dont est inspirée ma chanson éponyme est une narration à la première personne. Je n’ai pas souhaité reprendre le procédé et je ne suis même pas sûr de coller exactement à l’œuvre. En fait, vous remarquerez que j’ai même pris le contre-pied de Pennac. Il fait parler son corps. Moi, je m’adresse à celui-ci comme à ma propre dépouille.
Le leitmotiv du refrain (attention “spoiler” !) est une citation du livre. C’en est en fait la toute dernière phrase qui est à mon sens l’une des plus magnifique fin de roman que j’ai jamais lue.
Si ce thème m’a inspiré c’est que je suis intimement convaincu de la nature physique de l’esprit. Pour moi, il n’y a pas de transcendance. “Suis-je dans mon corps comme un pilote dans son navire ?” est un sujet qu’on propose aux élèves de 1ère année de philosophie quand on étudie Descartes.
Pour ma part, je suis convaincu qu’il n’y a pas de dichotomie entre notre partie matérielle et ce que nous percevons comme une émanation directe de notre esprit, la pensée. Cela ne veut pas dire que je crois que nous ne sommes que des objets mais je pense que nous surestimons la valeur de l’esprit. Nous en faisons souvent quelque chose qui dépasse la matière, qui est plus noble alors qu’en fait, elle n’en est qu’une forme d’expression plus complexe, une résultante de l’adaptation.
Notre évolution nous a amené à avoir une conscience car nous avions besoin de cet atout pour survivre et pour nous adapter. La surprise inattendue de cette nouvelle faculté, c’est qu’elle nous a permis de modifier volontairement un grand nombre de nos contraintes, de développer des capacités fortuites telles que l’art. Je considère donc tout ce que notre esprit produit et qui n’est pas nécessaire absolument à la survie de notre espèce comme un accident de l’évolution.
La beauté, l’ordre, le sens ne sont probablement pas dans les choses elles-mêmes mais dans l’esprit qui les observe.
Je sais bien que lorsque notre conscience s’éteint, que nous fermons les yeux pour notre dernière fois, l’ensemble de notre corps ne s’annihile pas soudainement. Il perdure le temps que tous nos atomes soient redistribués en autre chose. Quand sommes- nous morts alors ? Les stoïciens y voyaient justement une preuve de notre immortalité quand nos atomes se disloquent pour se recomposer indéfiniment. Mais cette vision matérialiste des choses ne me console pas tout à fait car je repense à cette phrase de Raymond Radiguet dans “Le diable au corps” : “Ce qui chagrine, ce n’est pas de quitter
la vie, mais de quitter ce qui lui donne un sens.
” Mourir, c’est perdre la vie”. Ce qui ressemble à une tautologie est pour moi la raison même de la révolte que je ressens vis-à-vis de la mort. Je sais que quand je mourrai, il n’y aura rien pour moi avant tout. Et je ne me berce pas de consolation en me convaincant que je vivrais à travers la mémoire de ceux qui se souviendront de moi. Vous pouvez écouter un petit aperçu de ce sentiment dans une de mes chansons sur le prochain album “Le soliloque” que je suis en train de faire : “la mort n’est pas le carnaval“
L’harmonica pour évoquer l’Amérique de Douglas Kennedy ? Et dire que je ne l’ai même pas fait exprès…
“Quitter le monde” a son propre univers, quelque chose d’inédit dans mes compositions et dans mes arrangements. Je n’y suis pas dans mon registre habituel.
Les percussions plutôt électro sont presque imperceptible mais ce sont pourtant elles qui apportent le tempo Road movie de la chanson. Elles proviennent d’un logiciel d’émulation de boîte à rythme “Rebirth“. Il s’agit en fait d’une superposition de 4 pistes de drums afin de donner un son le plus profond possible.
Bien sûr les guitares très saccadées augmentent encore l’effet très “2 temps”.
Pour le refrain, la pression devait être relâchée. La guitare rythmique se fait donc plus expressive, plus folk. Ce sont surtout les choeurs qui donnent la sensation de respiration. Ce sont des choeurs créés avec un expander virtuel “sampletank“.
Cette chanson est un ballade. Je voulais qu’elle arrive vite dans la distribution des chansons de l’album.
“Quitter le monde” est sans doute la chanson par laquelle le projet d’écrire un album entier sur le thème de mes lectures est né. Pourtant, 3 des chansons des 10 sont plus anciennes (“L’aleph”, “lire” et “El Desdichado”) mais on peut dire que leur émergence a été fortuite, non issue de l’intention d’écrire dans cette perspective.
L’évocation du texte de la deuxième chanson est très intime. J’ai écrit sous l’emprise d’une grande angoisse, une période sombre de mon existence. C’est un lieu commun que de déclarer que la plupart des auteurs ont besoin d’une ambiance particulière pour se mettre devant une feuille blanche et la remplir. Pour moi, c’est simplement une solitude longue et installée mais sans ennui. Pas facile évidemment comme le penseront ceux qui connaissent mon univers personnel… Mais j’y arrive… parfois.
“Quitter le monde” s’impose sans doute comme un hymne à mon propre appel dans ce sens, ce cri que j’ai eu moi aussi à ce moment paroxysmique d’abandon à la peur. Mais même si j’écris proche du spleen, je n’écris pas en son sein. Je profite de sa queue de comète. C’est donc plus fort qu’il n’y paraît que j’évoque mes épisodes.
Pour installer le texte sur ce livre de Douglas Kennedy, j’ai inventé un personnage supplémentaire qui n’existait pas. J’ai imaginé une rencontre furtive sur la route de la fuite en avant de Jane. Et en fait, j’ai pu m’adresser à elle avec les sentiments que m’inspirent son désespoir. Cette culpabilité qu’elle s’inflige, je la connais bien. Ami, amant d’un soir, peu importe. Jane reste absente. Elle n’est pas présente au monde, déjà. “Je” lui parle comme si elle était un fantôme. Elle, elle ne s’adresse jamais au fantôme de sa fille.
Jane impose une distance. Elle rayonne de sa souffrance, comme on a pu me dire à moi aussi durant ces quelques mois de 2012. Elle en est inaccessible parce qu’elle refuse d’être pardonnée. Elle ne veut plus être aimée .
Qu’est ce qui nous repousse chez elle ? Sa douleur ou la crainte qu’elle soit contagieuse ? Nous sommes peut-être capable de prendre sur nous une petite partie de cette douleur mais il y a une limite à ça, l’appréhension qu’elle nous remplisse jusqu’à nous submerger.
Pour ceux que la chanson donnera envie de lire le livre, je ne raconterai pas l’histoire. Douglas Kennedy est un auteur mal étiqueté selon moi, trop souvent assimilé aux auteurs de romans de gare. Pourtant, toutes ces histoires ont un point commun, ses personnages ne sont pas des héros et leur “aventure” leur laisse de profondes cicatrices. Ils devront abandonner une partie importante d’eux-mêmes pour continuer leur vie.
Jane m’a touché car elle est une anti-héroïne, comme l’est aussi Thérésa dont je parlerai plus tard. Ces femmes ne sont pas des victimes car elles ont su faire leurs choix. Mais elles ont découvert à leur dépend le sens du sacrifice personnel.
Le texte “Quitter le monde” est aussi une expérience inédite pour moi car je parle d’une rencontre imaginaire. Je m’installe dans l’histoire de l’auteur, un peu comme un squatteur. Mon intrusion, je ne l’assume pas complètement car je n’ose pas expliciter la nature même de mon intimité avec Jane. J’ai même le sentiment que je ne mériterais pas d’être auprès d’elle. Je devais donc la laisser repartir. C’était indispensable. Pour elle. Pour moi.